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L’Europe devrait-elle définir une politique agricole pour le monde?

Que se passe-t-il quand une région du monde – une plaque tournante majeure pour le commerce international – choisit l’idéologie et la politique plutôt que la science lorsqu’il est question d’innovation en agriculture? Malheureusement, c’est exactement ce qui se passe en Europe – et le résultat n’est bon pour personne.

Bien que le Canada et l’Europe soient censés bénéficier d’un meilleur accès à leurs marchés respectifs dans le cadre de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, les politiques actuelles de l’Europe en matière de technologies agricoles ont l’effet inverse.

En tant que Canadiens, nous jouissons d’un meilleur accès à des produits de qualité supérieure tels que le vin, le fromage, les olives et le café européens, mais les produits canadiens ne sont pas toujours aussi bien accueillis en Europe. Le Canada produit des grains, des oléagineux et des légumineuses qui sont parmi les plus qualitatifs et les plus sûrs au monde, et nous nous attendons à ce que les Européens fassent confiance aux produits que nous expédions outre-mer, de la même manière que nous accueillons les produits européens. C’est ce qui est au cœur des accords de libre-échange.

Cet accord réciproque s’effondre lorsque nous nous penchons, par exemple, sur les nouvelles variétés de cultures mises au point par modification génétique. Une nouvelle culture génétiquement modifiée (GM) ne sera généralement pas rendue accessible aux agriculteurs canadiens tant que son importation dans l’Union européenne (UE) n’aura pas été approuvée. Lancer une nouvelle variété de culture GM avant d’avoir reçu l’autorisation de l’importer dans l’UE pourrait avoir des effets dévastateurs sur le commerce.

Au Canada, il faut en moyenne environ deux ans pour qu’une nouvelle culture GM passe à travers le processus d’approbation règlementaire. Selon EuropaBio, il faut en moyenne six ans pour que l’UE autorise l’importation de cultures GM. De plus, les évaluations scientifiques des risques effectuées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments peuvent être ignorées au profit de la politique par les différents États membres de l’UE.

Il en résulte que les producteurs canadiens – et d’autres dans le monde entier – ne peuvent pas accéder aux technologies les plus récentes dont ils ont besoin pour produire de manière plus efficace et durable des aliments destinés à nourrir la planète. Et l’approche européenne en matière de règlementation des technologies agricoles, qui repose sur une idéologie, va probablement continuer de s’appliquer aux nouvelles techniques de sélection végétale, telles que l’édition génique, qui offrent un potentiel incroyable pour les agriculteurs, les consommateurs et l’environnement.

En ce qui concerne les produits phytosanitaires et antiparasitaires, l’UE incorpore une approche fondée sur les dangers à leur approbation et au renouvellement de leur autorisation. Cela va à l’encontre de l’approche d’autres membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui adhèrent aux principes de la règlementation fondée sur les risques en matière de pesticides, principes convenus à l’échelle internationale.

Les implications pratiques de cette situation signifient que des produits peuvent être interdits en Europe, alors qu’ils ont été évalués et jugés sûrs d’utilisation sur la base d’une évaluation des risques par d’autres membres de l’OMC. Et sans aucun degré de certitude quant à la possible fixation de tolérances à l’importation pour les résidus de ces produits, il en résulte essentiellement que les agriculteurs non européens hésiteraient à utiliser ceux-ci si leurs récoltes étaient susceptibles d’être exportées vers l’Europe. Cela pourrait affecter leurs décisions en matière de gestion antiparasitaire et, en fin de compte, la viabilité de leurs cultures.

Le Canada s’est récemment joint à 16 autres pays pour écrire une lettre à l’OMC, dans laquelle ils expriment leurs préoccupations quant à la mise en place par l’Europe de barrières non tarifaires au commerce des produits agricoles. Le libellé de cette lettre est sans équivoque : il s’agit d’un appel, lancé à l’OMC, à faire en sorte que l’UE s’acquitte de sa responsabilité de respecter les règles du commerce équitable. La lettre dit :

Pour pouvoir relever le défi qui consiste à produire davantage de produits alimentaires de façon plus sûre et durable, les agriculteurs doivent pouvoir accéder à l’ensemble des outils et technologies sûrs disponibles pour la production agricole. Cependant, le choix fait par nos agriculteurs d’utiliser des outils sûrs est de plus en plus compromis par des obstacles règlementaires qui ne sont pas fondés sur des principes d’analyse des risques convenus au niveau international et qui ne tiennent pas compte d’autres approches pour atteindre des objectifs règlementaires. Cela a déjà une incidence négative importante sur la production et le commerce de produits alimentaires et agricoles sûrs, incidence qui s’accentuera probablement à l’avenir.

Et :

Il apparaît que, pour mettre en œuvre ces mesures [incorporant une approche fondée sur les dangers à l’approbation et au renouvellement des autorisations des produits phytosanitaires], l’UE essaie unilatéralement d’imposer à ses partenaires commerciaux sa propre approche en matière de règlementation intérieure. De ce fait, elle prohibe effectivement l’utilisation d’outils essentiels pour la gestion des parasites ou la résistance, tout en portant atteinte aux moyens de subsistance des agriculteurs à l’étranger, en particulier ceux des pays en développement et des PMA [pays les moins avancés]. La production agricole varie selon la région et ce qui fonctionne en Europe n’est peut-être pas approprié sous d’autres climats et dans d’autres régions. L’insistance de l’UE pour que les agriculteurs du monde entier trouvent d’« autres solutions » n’a aucun sens pour nombre de ses partenaires commerciaux qui savent que, dans la plupart des cas, d’autres solutions viables n’existent tout simplement pas ou peuvent, en fait, être plus risquées à utiliser que les substances effectivement interdites par l’UE.

Étant donné que l’Europe est un important importateur de denrées destinées à l’alimentation humaine et animale (les industries du bétail, de la volaille et des aliments pour animaux de l’UE dépendent à 70 % environ de protéines importées), il est alarmant de voir que ses politiques, qui limitent l’accès aux innovations chez elle, sont désormais imposées à d’autres pays du monde. Et ce sont les pays, comme le Canada, qui adoptent de nouveaux outils et technologies pour produire de manière durable des aliments destinés à des marchés dans le besoin, tels que l’Europe.

Comme la demande mondiale en denrées destinées à l’alimentation humaine et animale continue de croître, et que les agriculteurs subissent de plus en plus de pressions dues aux changements climatiques et aux défis posés par les ravageurs, ils auront besoin d’accéder aux plus récents outils et innovations pour produire davantage sur les terres agricoles existantes. Et nous sommes à un moment où il est essentiel que les gouvernements et les décideurs du monde entier reconnaissent ce fait. Une autre solution consiste à mettre en production agricole davantage de terres (pensez à des habitats naturels comme les forêts tropicales), ce qui ne serait avantageux pour personne.

 

Pierre Petelle, président et chef de la direction, CropLife Canada

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